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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Analyse systémique des discriminations racistes (Saïd Bouamama)

15 Août 2015 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #FUIQP, #Racisme

Analyse systémique des discriminations racistes (Saïd Bouamama)

Ce qui fait l’une des caractéristiques du FUIQP, c’est qu’il estime que le racisme n’est pas hors sol, autrement dit qu’il a une base matérielle, une fonction sociale, et qu’il est en particulier, un mode d’organisation de l’exploitation capitaliste aujourd’hui. Et c’est cette fonction sociale qui nous amène à passer des alliances avec des gens qui ne sont pas issus de l’immigration.

Après ces considérations générales qui déterminent l’orientation du FUIQP, j’en reviens au sujet de cette première table ronde et sur ce qu’est le racisme.

Dans la séquence historique qui est la nôtre, marquée par une agression idéologique tous azimuts contre les dominés, le racisme se déploie autour de deux dimensions :

  • la première dont il ne faut pas sous-estimer tous les effets dévastateurs, c’est la campagne « Je suis Charlie ». Au FUIQP, nous ne sommes pas Charlie et nous ne serons pas Charlie !
  • La seconde concerne l’injonction permanente de mettre en avant et de considérer comme principale une des formes de racisme qui est l’antisémitisme -Injonction qui fait que l’on ne peut plus s’exprimer sans dire en préambule « Je ne suis pas antisémite »-. Comme si c’était la question centrale, principale, nodale de la société française… Une manière de ne pas parler des autres formes de racisme qui structurent cette société, eh bien nous, nous refusons de devoir commencer toujours par « Je ne suis pas antisémite ».

Le racisme a une histoire

Pour se faire une idée de ce qu’est le racisme aujourd’hui, il faut prendre en compte le phénomène dans toutes ses dimensions mais surtout rappeler que le racisme a une histoire : il n’est pas une caractéristique de la nature humaine, il n’est pas éternel au sens où il n’a pas toujours existé. Il est contemporain d’une époque où l’Europe avait besoin de justifier une agression en hiérarchisant l’humanité en fonction des races et c’est l’apparition du capitalisme pour son besoin d’expansion qui a donné naissance à cette idéologie de hiérarchisation qui était totalement absente des conflits antérieurs. C’est d’ailleurs l’erreur et le mensonge de ceux qui confondent l’esclavage lié au capitalisme et les esclavages antérieurs, bien évidemment condamnables, mais qui étaient d’une toute autre nature.

Un des grands apports de Frantz Fanon est de nous dire que pour maintenir sa fonction sociale de division des dominés, le racisme change de forme et de visage en fonction du rapport de forces.

Du racisme biologique au racisme culturel

Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, après les luttes de libération nationale, se référer à une hiérarchisation biologique devenait impossible sous peine de se trouver complètement décrédibilisés. C’est la raison pour laquelle, nous dit Frantz Fanon, le racisme s’est mué en racisme culturaliste. Ce ne sont plus les races que l’on hiérarchise, mais les cultures. On comprend dès lors cette perception des Roms comme danger, parce que désignés comme non-intégrables. Il y aurait des cultures qui seraient inférieures à d’autres et qui n’auraient pas leur place dans une société civilisée. Derrière ce qui se dit sur l’islam, en creux, c’est qu’il y aurait des religions qui ne sont pas comme les autres et qui seraient incompatibles avec la civilisation.

Le racisme contemporain principal, que ce soit sous la forme de la négrophobie, la rromophobie, l’islamophobie, c’est le racisme culturaliste. Et tout mouvement antiraciste qui resterait centré sur la lutte contre le racisme biologique, qui aurait des pudeurs ou des réticences à prendre en compte par exemple l’islamophobie, refuserait d’analyser et de combattre le racisme tel qu’il est, le racisme concret, le racisme qui détruit, le racisme qui se développe aujourd’hui.

Analyse systémique des discriminations racistes (Saïd Bouamama)

Différents niveaux

Le troisième élément dans la compréhension et l’analyse du racisme, - c’est que le racisme se situe à des niveaux différents et prend des formes différentes.

  • L’idéologie globale « pure et dure » représente le premier niveau, c’est ce qui correspond au nazisme par exemple dont la théorie affirme qu’il existe des races et qu’elles sont hiérarchisées.
  • Au deuxième niveau, on trouve ces préjugés, ces images mentales héritées de l’histoire esclavagiste et coloniale et qui continuent à être diffusées par les classes dominantes, dans les médias, les manuels scolaires… Beaucoup plus insidieuses et beaucoup plus répandues, ces images continuent à structurer le regard de nos concitoyens dans une société qui a colonisé pendant des décennies et  qui continue à intervenir militairement et économiquement dans l’ancien empire colonial.  Alors que l’on commet des agressions en Afrique, matières premières et minerais obligent, alors que l’on déstructure tout le Moyen Orient pour l’accès au pétrole, loin de n’être qu’un héritage,  ces images sont revivifiées, réactualisées et remises sur le devant de la scène parce que les pays impérialistes ont besoin de les faire renaître, de les recycler  et de les imposer.

Déraciner ces images qui contaminent la gauche, et même l’extrême gauche, y compris ceux qui se disent proches de nous, demande qu’on ne leur fasse aucune concession.  Et sans doute demain nous remercieront-ils d’avoir été intransigeants sur ces questions.

  • Le troisième niveau encore plus important pour nous qui pouvons à tout moment être tué d’une balle tirée  par un policier,  agressée parce qu’on porte un foulard, c’est la mise en actes du racisme que représentent  les discriminations. Personnellement, que quelqu’un ne m’aime pas m’est totalement égal. Mais qu’il ne me discrimine pas ! Qu’il n’use pas  de son pouvoir pour prendre me concernant de décision, qui aurait  un effet sur ma vie et sur celle de mes enfants !

A ce niveau là, malgré d’habiles faux semblants, force est de constater qu’il y a un rapport social raciste en France qui est construit comme un mode de gestion de l’économie. Si l’on ne tient pas compte de cela, on va, en toute sincérité, commettre des erreurs dans la manière de construire un réel combat antiraciste.

Analyse systémique des discriminations racistes (Saïd Bouamama)

Racisme individuel, racisme institutionnel

Encore trop fréquemment, et c’est une première erreur,  le racisme est ramené à un phénomène individuel et  l’impasse est faite sur le racisme institutionnel, celui qui vient d’en haut, celui qui est politiquement choisi par le gouvernement, qu’il s’agisse d’un discours dont  les effets  se feront sentir sur la vie concrète des Rroms, ou bien  d’une loi qui  affectera la vie de celles qui portent le foulard.

Cette politique d’Etat, cette politique de racialisation, c’est cela le racisme.

L’autre erreur consiste à croire que le racisme est une affaire morale : il est illusoire de croire que les bons sentiments vont faire que les racistes vont arrêter d’être racistes. Ils arrêteront de l’être parce qu’un rapport de forces leur aura été imposé.

Le racisme est politique et c’est politiquement qu’il faut le combattre et non pas en cherchant à changer les mentalités ou en montrant patte blanche. Il faut à tout prix que l’on se réapproprie le politique,  au sens de combat pour changer cette société.

Le racisme est un système,  de la même façon que Fanon disait « la colonisation est un système ». Il peut certes y avoir des colonialistes sincères, le problème, c’est qu’on est dans un système : l’économie française aujourd’hui a besoin du racisme, elle le produit donc inévitablement.

Dire que le racisme est un système, c’est dire qu’il est diffusé dans tous les implicites de notre société : aucune institution dans ce pays, si on l’étudie de près,  peut être considérée comme non-raciste. L’Education nationale a des implicites qui la font fonctionner de manière raciste, les politiques d’attribution des logements ont des implicites qui les font fonctionner de manière raciste, et je pourrais continuer …

La naïveté a des limites, cessons de chercher le petit raciste qu’il faut éduquer ! Il faut analyser les choses de manière politique, matérialiste et comprendre que c’est le rapport social de cette société qui, pour maintenir les profits, pour justifier les interventions à l’extérieur, a besoin de diffuser ce racisme.

Une fonction de division

Enfin et j’en terminerai par là, le racisme a une fonction de division. Et comme on le dit souvent au Front uni, il permet de diviser ceux qui devraient être unis et d’unir ceux qui devraient être divisés :

  • diviser l’ouvrier, celui issu de  la colonisation parfois récente, parfois de la troisième ou quatrième génération, diviser cet ouvrier-là avec l’ouvrier français soumis à une grille de lecture raciste, et à qui de surcroît on aura octroyé un  petit privilège,
  • unir ceux qui devraient être divisés : l’ouvrier blanc avec son patron blanc.

Si on n’a pas compris cette fonction du racisme, on aura du mal à construire la contre-offensive politique.

Un combat difficile

C’est un combat difficile et de longue haleine et qui ne peut se livrer si, entre camarades, nous nous opposons sur des sujets somme toute annexes, si nous baissons les bras devant la moindre divergence, un combat au cours duquel il ne faut jamais perdre de vue l’essentiel  et dans lequel il faut éviter de sous-estimer l’ennemi qui est en face. Nous sommes dans un rapport de forces avec les classes dominantes, cela suppose la construction par en bas d’un mouvement des quartiers populaires, quartier par quartier, ville par ville, et c’est l’unique chemin pour combattre le racisme systémique.  Il faut nous y employer tous ensemble.

Nécessité de l’auto-organisation

Combattre le racisme systémique suppose une seconde condition : que l’on ait pleinement conscience que ce rapport social qui a imbibé une partie de la gauche, et même une partie de l’extrême gauche nous oblige à travailler à notre auto-organisation et la rend nécessaire. Nous  avons tout à perdre à ne pas comprendre cela. Notre auto-organisation est une des conditions pour ne pas être sacrifiés sur l’autel de l’immédiateté, de la prochaine échéance électorale, des priorités gouvernementales

Alliances et autonomie

Cependant, nous ne pouvons pas changer la société tout seuls, et cela pose la question des alliances avec tous ceux qui, dans cette société, se battent pour une autre société. L’articulation entre autonomie et alliances, c’est le chemin que nous devons prendre pour construire le FUIQP comme outil de la contre-offensive politique contre le rapport social raciste et le racisme institutionnel. Pour cela, n’oublions pas cette belle phrase d’Aimé Césaire qui, même s’il ne nous dit pas comment faire, nous met cependant en garde : attention, attention,  alliance ne veut pas dire subordination, alliance suppose autonomie !

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