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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

La tentative de pénalisation des appels au boycott des produits israéliens par les circulaires Alliot-Marie et Mercier

27 Juillet 2016 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Palestine BDS

Article par Ghislain Poissonnier et Jean-Christophe Duhamel

RDLF 2015, chron. n°05

Le 12 février 2010, Mme Michèle Alliot-Marie, alors Garde des Sceaux à cette période de la présidence de M. Nicolas Sarkozy, faisait adopter, sous la plume de son directeur des affaires criminelles et des grâces, une circulaire de politique pénale intitulée Procédures faisant suite à des appels au boycott des produits israéliens 1. Ce texte, appelé depuis lors la circulaire Alliot-Marie, relève que « depuis le mois de mars 2009, plusieurs procédures faisant suite à des appels au boycott des produits israéliens » ont été mises en œuvre : « les faits prennent le plus souvent la forme de rassemblements dans des centres commerciaux dans le cadre desquels les appels sont formulés. Certaines de ces manifestations font ensuite l’objet de diffusions via des sites internet ». Pour la circulaire, ces faits sont susceptibles de constituer une infraction pénale et « il apparaît impératif d’assurer de la part du ministère public une réponse cohérente et ferme à ces agissements ».

Le titre de la circulaire interprétative ne laisse planer aucun doute quant à son champ d’application matériel. Il ne s’agit pas de réprimer les différents appels au boycott lancés en France par des associations contre des produits d’entreprises ou d’Etats dont est critiquée la politique sociale, environnementale ou en matière de droits de l’homme ; ne sont visés que les « appels au boycott des produits israéliens ». Les appels au boycott de produits issus d’autres Etats ne font l’objet d’aucune circulaire spécifique et ne sont pas évoqués dans la circulaire Alliot-Marie. Seuls les appels au boycott des produits en provenance d’Israël y sont considérés comme des délits pour lesquels « une réponse cohérente et ferme » est attendue de la part du ministère public. Or, la campagne « Boycott Désinvestissement Sanctions » (BDS) initiée en Palestine le 9 juillet 2005 2 constitue très certainement le mouvement le plus structuré et le plus coordonné 3 jamais mis en œuvre depuis 1948 afin de faire pression sur Israël pour qu’il respecte le droit international 4. Cette campagne internationale, active sur cinq continents et dans plus de 40 Etats, revendique de multiples succès 5 ; la circulaire Alliot-Marie a été adoptée au moment charnière où elle a commencé à prendre de l’ampleur, notamment en France.

La date du début des faits mentionnée dans la circulaire – « le mois de mars 2009 » – mérite en effet qu’on s’y arrête. Si la campagne BDS a été initiée par la société civile palestinienne en 2005, elle n’a véritablement été lancée en France qu’en février – mars 2009, à la suite de l’opération militaire israélienne « Plomb Durci » dans la Bande de Gaza qui a provoqué la mort de plus de 1.300 palestiniens et suscité une vague d’indignations 6. Le mode d’action décrit dans la circulaire – des « rassemblements dans des centres commerciaux dans le cadre desquels les appels sont formulés » qui « font ensuite l’objet de diffusions via des sites internet » – est tout aussi instructif, puisqu’en France, la campagne BDS a précisément commencé par des rassemblements de militants associatifs devant et dans les supermarchés vendant des produits israéliens, afin d’inciter les clients présents à s’abstenir de les acheter 7. Ces rassemblements sont filmés par les militants, les vidéos tournées étant ensuite diffusées sur les réseaux sociaux et les sites internet des associations membres de la campagne 8. La circulaire Alliot-Marie est donc clairement un texte dont l’objectif est d’interdire ou au moins de gêner en France la campagne BDS et a, pour cette raison, reçu le soutien d’une partie du personnel politique français 9. Dès son adoption, elle a cependant été critiquée par de nombreux juristes et personnalités 10. Elle a pourtant été précisée et complétée, le 15 mai 2012, soit deux jours avant la prise de fonction de Mme Christiane Taubira, par une nouvelle circulaire adoptée sur les instructions de M. Michel Mercier 11, dernier Garde des Sceaux de la présidence de M. Nicolas Sarkozy.

Depuis 2010, tandis que plus d’une centaine de personnes ont fait l’objet de procédures de police 12, plus d’une quarantaine ont été poursuivies devant les tribunaux correctionnels 13. Si des poursuites pénales ne sont donc pas toujours engagées contre tous les militants de la campagne BDS appelant au boycott des produis israéliens, la circulaire Alliot-Marie n’en constitue pas moins une « épée de Damoclès » au-dessus de leur tête, les dissuadant d’organiser des actions de promotion du boycott ou de participer à celles envisagées. On ne peut douter que la circulaire ait été adoptée précisément à cette fin, et il faut bien lui reconnaître un certain succès, les opérations dans les supermarchés et lieux de vente ayant un temps diminué. Cependant, en raison de l’opération militaire israélienne « Bordure Protectrice » ayant provoqué la mort de plus de 2.200 palestiniens dans la Bande de Gaza en juillet-août 2014, la campagne BDS a pris une ampleur inégalée en France, au point de retenir l’attention des grands médias 14 qui en viennent à leur tour à s’interroger sur la pénalisation des appels au boycott des produits israéliens 15.

Si le sujet reste donc encore d’une grande actualité 16, il est également évident que le débat relatif au fondement juridique des poursuites n’est toujours pas vidé. En effet, l’appel au boycott ne fait pas l’objet d’une prohibition de principe en droit français 17, seuls les moyens mis en œuvre pour le réaliser ou les conséquences qu’il engendre pouvant être poursuivis 18. A en croire pourtant les circulaires Alliot-Marie et Mercier, l’appel au boycott des produits israéliens tomberait sous le coup de la provocation à la discrimination à raison de l’appartenance d’une ou plusieurs personnes à une nation, comportement incriminé par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Une analyse minutieuse de ce fondement permet toutefois de considérer que le délit de provocation à la discrimination ne concerne vraisemblablement, et en l’occurrence, que les discriminations ayant pour objet ou pour effet d’entraver l’exercice normal d’une activité économique (I). On doutera que le fait d’inciter le consommateur à exercer sa liberté de conscience et à déployer une critique citoyenne et non violente de la politique d’un Etat constitue une telle entrave (II).

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