Colloque : pour une lecture profane des conflits et des guerres
Pour une lecture profane des conflits et des guerres
En finir avec les interprétations ethnico-religieuses
S’il appartient aux historiens de nous dire si le recours à l’interprétation religieuse des événements, des conflits et des guerres a traversé tous les temps de l’histoire et d’en dresser une sorte de généalogie, on peut avancer sans trop de risques d’être démentis qu’aujourd’hui cette clef d’analyse est trop souvent avancée pour expliquer nombre de situations…. Ignorance de la complexité des choses, facilité, …ou vision occidentalo-centrée du monde, hypothèses que les travaux de la journée confirmeront ou non.
Déjà l’histoire de la colonisation avait montré combien le pouvoir colonial a joué des oppositions ethniques ou religieuses à l’intérieur même des pays colonisés, quand bien même il ne les a pas créées de toutes pièces et/ou entretenues.
Aujourd’hui, l’histoire récente nous offre bien des exemples de l’instumentalisation du religieux par les pouvoirs en place qui jouent au gré de leur intérêt entre une complaisance certaine avec le religieux sur lequel ils s’appuient …et la dénonciation de son rôle et de sa prépondérance ! Un exercice d’équilibrisme à haut risque.
Qu’il s’agisse de conflits internes à une société où comme en France l’on se trouve de fait face à la volonté de réduire une question sociale à une question de religion et de signes religieux, ou bien, au niveau international qu’il s’agisse de conflits et de guerres, opposant des Etats entre eux ou des Etats à des groupes ou des « minorités » entrés en dissidence, c’est bien souvent la même lecture qui est proposée et ce, à quelques rares exceptions près.
Et cela n’est pas spécifique aux seules situations du Moyen-Orient : l’Inde est loin d’être épargné tout comme le Pakistan. Plus près de nous, c’est au nom de la lutte contre le terrorisme inspiré par le wahabisme que les Russes ont justifié leur intervention en Tchétchénie tandis que leur commune appartenance à la religion orthodoxe a pu tenir lieu d’explication au soutien par la Russie des nationalistes serbes. Et les exemples ne manquent pas de par le monde où c’est le même prisme qui est utilisé pour rendre compte de situations conflictuelles.
Ce même recours aux interprétations d’ordre ethnique ou religieux devient même quasi exclusif dès lors que l’on traite des situations qui ont pour « théâtre » le Moyen-Orient et l’Afrique. Il est particulièrement à l’œuvre aussitôt que l’on aborde le conflit israélo-palestinien que certains veulent absolument réduire à un conflit confessionnel.
Par ailleurs comment ne pas évoquer la réception qu’a pu connaître en Occident la théorie du « Choc des civilisations » suite au 11-Septembre et à l’émotion vite mise à profit pour assurer la diffusion de cette idéologie et sa légitimation en quelque sorte, même si la matrice de ce discours n’était pas nouvelle.
Certes il serait abusif de nier tout rôle du religieux ou de sous-estimer les dangers que représentent les dérives sectaires des intégrismes religieux . Wahabisme, salafisme chez les musulmans, groupes fondamentalistes hindous,… Mais cette obsession de présenter exclusivement les causes d’un conflit selon ce prisme est loin d’être neutre, surtout lorsque dans le même temps l’on fait l’impasse sur la présence et le rôle des groupes fondamentalistes chrétiens qui sont à l’œuvre dans nombre de pays.
De façon paradoxale, en reconnaissant aux intégrismes religieux et à leurs militants un rôle et une influence déterminants, en ne cessant de dénoncer leur emprise sur la société, ne leur donne-t-on pas en fin de compte une certaine aura et une certaine légitimité aux yeux d’une population qui subit injustice et souvent mépris et qui ne trouve d’autre moyen d’échapper à la marginalisation et la domination qu’elle subit ?
Mouvements religieux, mouvements politiques, ou politico-religieux,-il nous faudra sans doute déterminer la nature propre à chacun-, mais en tout cas l’irruption de ces groupes bouscule la représentation de l’espace politique et de ses acteurs à laquelle nous sommes habitués, représentation que l’on a la prétention de croire unique et universelle. En cela ces phénomènes devraient nous aider à prendre un peu de recul sur notre façon d’envisager le politique et cela sans jugement de valeur.
Le martèlement d’un discours à sens unique par les grands médias, la force des images qui suscitent l’adhésion à l’interprétation proposée, la mise en scène des événements peuvent expliquer le succès auprès d’un large public de cette lecture sommaire d’une réalité complexe …voire même, ironie macabre, comme l’actualité le confirme, à susciter l’engagement dans le djihad de jeunes en quête de sens !
Passent ainsi au second plan ou sont carrément occultés des éléments, des questionnements qui invitent à pousser plus loin l’analyse et à remettre en cause les discours et les actes des élites et des pouvoirs qui nous gouvernent.
Ce sont ces éléments qui vont constituer le corps même de cette journée au cours de laquelle les intervenants ne manqueront sans doute pas
- de rendre mieux compte des enjeux réels des conflits et de leurs causes profondes historiques, sociologiques, économiques …
- de nous aider à comprendre comment des idéologies de libération et d’émancipation des peuples ont pu connaître un tel échec jusqu’à permettre le développement de partis se réclamant de la religion et qui ont pu à ce point occuper l’espace politique.
Il est certain qu’ils seront également amenés (à l’occasion des exposés ou des débats qui suivront)
- à mettre à jour le réseau d’enjeux, d’intérêts croisés, les contradictions et les complicités voire les duplicités comme celle des Etats-Unis alliés des talibans en Afghanistan pour lutter contre le communisme ou celles de la France avec l’Arabie Saoudite pourtant fournisseur principal en matériel des djihadistes que la France se veut combattre,
- à dénoncer les interventions extérieures dont l’humanitaire est le paravent de choix, celles de la France dans une Afrique qu’elle considère toujours comme sa chasse gardée et ce dans un contexte global de recolonisation du monde et de reconfiguration de l’impérialisme et de son discours de légitimation dans lequel les Droits de l’Homme sont instrumentalisés, souvent érigés en dogme pareillement à une religion alors même que les droits des peuples ont été rancardisés
- à mentionner les ravages des politiques néo-libérales, celles du FMI qui ont démantelé les Etats et les services sociaux.
A ce propos, même s’il est indéniable que la religion a toujours travaillé les sociétés et parfois de façon souterraine, aujourd’hui la défaillance de l’Etat ne laisse-t-elle pas la voie libre à ces mouvements qui préconisent des modes de vie et des formes d’organisation sociale tournés vers un passé souvent mythifié et pas des plus progressistes (sachant pertinemment qu’en la circonstance il est fait référence à notre propre échelle de valeurs) ? En tout cas un passé qui n’est pas celui des Qarmates qui, au IXème siècle, en Arabie orientale et dans le sud de l’Irak, ont fondé un Etat aux principes égalitaires étonnants, notamment entre hommes et femmes.
Se pose dès lors en creux la question centrale de comment refaire société .
Un problème auquel ici même nous sommes confrontés tant l’Etat dans ses formes actuelles ne représente plus le bien commun et ne répond plus aux aspirations de ses citoyens les plus modestes et les plus démunis, totalement abandonnés et laissés en déshérence.
Enfin la comparaison entre les diverses situations nous conduira sans aucun doute à mieux appréhender le pourquoi mais aussi les dangers d’une lecture qui privilégie les composantes ethniques et religieuses jusqu’à en faire les seules explications de phénomènes qui restent complexes, ce que refusent d’envisager nos gouvernants qui n’ont cure des analyses et des mises en garde de tous ceux qui connaissent bien la situation (spécialistes, universitaires, et même leur propres services diplomatiques !)
Pour nous militants antiracistes, l’enjeu est de taille, à l’intérieur de notre mouvement la réflexion et l’intérêt pour les questions internationales se doivent d’être développés tant il est incontestable que la situation internationale influence de façon profonde notre perception du monde et par voie de conséquence le regard porté sur l’étranger, celui venu d’ailleurs et même s’il est installé en France depuis plusieurs générations !.
En jeu la question essentielle de la représentation, de la construction de l’image de l’Autre.
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