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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Corne de l’Afrique : Entre solidarité et nécessaires réformes

9 Août 2011 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Afrique

 

Corne de l’Afrique : Entre solidarité et nécessaires réformes

(Y.M. & A.V.)

 

Les révolutions arabes, la tragique répression en Syrie, les massacres d’Oslo et les polémiques qu’ils provoquent, expliquent en partie pourquoi la famine qui sévit dans la Corne de l’Afrique mais aussi en Ouganda et au Kenya est une préoccupation qui se trouve reléguée au second plan de l’actualité et qui ne suscite pas de véritable mobilisation des citoyens.

Pourtant, sans vouloir en aucune manière relativiser les massacres perpétrés par des dictateurs aux abois, il n’est pas inutile de rappeler que la dictature des marchés surtout quand elle s’exerce dans le domaine des produits agricoles et des denrées alimentaires est tout aussi inhumaine, cruelle et responsable de dizaines de milliers de victimes.

Aujourd’hui, ce sont 11,5 millions de personnes, dont 2 millions d’enfants, qui sont menacées dans cette région. 3 millions de personnes sont déjà gravement touchées.

 

Un désintérêt aux causes multiples

Les difficultés pour les organisations humanitaires de recueillir des fonds, (1,4 milliard de dollars), le désintérêt manifesté par l’opinion publique en France et plus largement dans le monde devant pareille catastrophe est un phénomène nouveau. Outre les événements politiques d’envergure internationale qui monopolisent les consciences, les facteurs d’un tel désintérêt pour la famine qui sévit dans la Corne de l’Afrique sont multiples :

  • Comme dans toute période de crise, le repliement sur soi et sur les problèmes les plus directement immédiats est un phénomène habituel, et la crise qui touche de façon violente l’Europe n’échappe pas à la règle,

  • La famine, phénomène qui tend à devenir chronique dans la Corne de l’Afrique commence à lasser une opinion publique qui ne voit aucune amélioration et qui, devant les mêmes photos de l’insupportable depuis des années, se trouve comme anesthésiée. Comment expliquer autrement que l’on s’habitue et que l’on puisse rester sans réaction face au scandale que représente au XXIème siècle la persistance de la famine  et de ses conséquences désastreuses ?

Une situation incompréhensible

La situation dans la Corne de l’Afrique est pour beaucoup devenue incompréhensible d’autant que les conflits qui se déroulent dans cette région traditionnellement sensible vue sa situation géographique ne sont jamais analysés dans leur dimension géostratégique.

- En l’absence de lecture cohérente, les conflits passés ou présents à Djibouti, en Erythrée, en Ogaden, et dans le sud de l’Ethiopie n’intéressent pas ou plus quand bien même à la faveur de la crise, ils ne favorisent pas un retour au cartiérisme qui dans les années 60 formulait une vision du monde des plus simplistes « La Corrèze plutôt que le Zambèze ».

- Les événements qui touchent la Somalie ne sont pas davantage analysés et restent de la sorte sans explications.

- La présence des groupes islamistes Al Shabbaab qui refusent l’accès des convois humanitaires renvoie une image négative des régions dans lesquelles ils opèrent ou qu’ils contrôlent. L’attaque de ces mêmes convois par des groupes ou des milices incontrôlés n’incite pas davantage aux élans de solidarité.

- Les actes de piraterie maritime qui se sont déroulés en Mer Rouge au large des côtes de la Somalie amplifient encore le caractère supposé étrange voire étranger au monde de ces régions et des populations qui les habitent.

Enfin ce désintérêt manifesté à l’égard de cette région est sans doute augmenté par le souvenir du fiasco de l’opération « Restore Hope ». Intervention humanitaire (ou du moins présentée comme telle) menée  en Somalie en 1993 sous la conduite des Etats-Unis avec le concours d’une vingtaine d’autres pays dont la France, elle devait permettre dans une sorte de grande parade humanitairo-médiatique à laquelle Bernard Kouchner avait prêté son concours, de redonner une image plus positive des Etats-Unis après la guerre contre l’Irak de 1991.

 

La fatalité : une explication qui déresponsabilise

Face à l’échec de l’intervention « Restore Hope » et le retour cyclique, voire à la persistance, d’un état de famine plus ou moins critique, la fatalité devient vite un argument qui légitime en quelque sorte le désintérêt manifesté pour une famine qui, de l’avis des experts, sera une des plus graves qu’ait connue l’Afrique.

L’absence de réaction d’organisations et de collectifs altermondialistes qui restent étrangement muets sur ce problème, se recentrant depuis la crise financière presque exclusivement sur les questions bancaires ou sur les problèmes de dettes publiques des pays riches, renforce de façon indirecte l’argument de la fatalité et laisse supposer qu’il n’y aurait pas de solution .

De façon générale, aujourd’hui les problèmes des pays du Tiers Monde, les difficultés économiques auxquels ils sont confrontés, l’effacement de leur dette, passent au mieux au second plan des préoccupations tout comme les mobilisations demandant l’instauration de nouveaux rapports Nord-Sud, une meilleure gestion des richesses, des réformes de structures garantes du bien-être et de la survie de tous.

A défaut d’explications et de revendications, on met en avant le climat dont il est difficile d’inverser ou de maîtriser le cours même si une certaine responsabilité du système qui régit l’exploitation des ressources agricoles est évidente. Et cela renvoie immanquablement à la notion de fatalité.

De plus, on laisse se développer la charité en lieu et place de la solidarité, et c’est la responsabilité des victimes elles-mêmes en lieu et place d’une remise en cause d’un modèle économique tel qu’il sévit qui devient le principal facteur d’explication.

C’est accepter une vision libérale dans laquelle un consensus se construit autour de l’idée que les peuples de la région porteraient l’entière responsabilité de leur propre malheur. C’est exonérer les institutions internationales, l’OMC en premier lieu, de toute responsabilité.

Enfin, si effectivement les conflits qui opposent les différents peuples ou Etats de la région ont leur part de responsabilité, c’est bien vite oublier la responsabilité que portent des puissances extérieures à la continuation d’un état de guerre larvée ou déclarée qui mine les économies.

C’est également bien vite oublier le rôle néfaste de la spéculation sur le prix des denrées, c’est oublier que les pénuries alimentaires comme les crises de surproduction sont le résultat de politiques agricoles plus portées à satisfaire les besoins des grands groupes que ceux des populations.

La nourriture, un droit de l’homme

  • L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 stipule

Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

La résolution sur le droit à l’alimentation du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU adoptée le 26 mars 2009 réaffirme encore ce droit.

Rappeler ces textes fondamentaux est aujourd’hui essentiel pour mettre la « communauté internationale » face à ses responsabilités et trouver le plus rapidement possible les 1,4 milliards de dollars chiffrés par les Nations Unies pour enrayer la famine, une famine prévisible mais contre laquelle rien ne fut décidé lors de la réunion du G20 en juin consacrée à l’agriculture.

Cette situation est d’autant plus révoltante qu’il s’agit d’une somme dérisoire face aux centaines de milliards injectés dans l’économie pour « rassurer » les marchés et sauver les banques … qui n’ont toujours pas abandonné leurs pratiques spéculatives. De même, les pays de l’OTAN ont trouvé dans un temps record les moyens pour intervenir en Libye, ces mêmes moyens logistiques et financiers qui font défaut pour lutter contre la famine.

Quelques pistes

Pour lutter contre la répétition de telles catastrophes, le renforcement des moyens d’action et d’intervention de la FAO est nécessaire. La mise en place ou la modernisation des mécanismes d’alerte est également une nécessité tout comme l’augmentation des fonds de réserve. Ces réformes plus spécifiquement techniques ne doivent pas cependant faire oublier des réformes économiques plus globales rendues toujours plus nécessaires comme celles touchant aux mécanismes de fixation ou de maîtrise des cours des matières premières ou à la réorientation de l’agriculture en rupture avec les politiques mises en place par le FMI.

Dépasser l’urgence, préparer l’après

Répondre à des situations de crise et d’urgence n’est cependant pas suffisant. Les problèmes de fond demeurent , qui certains touchent aux réformes de structures et à la réorientation de politiques qui sont du ressort des gouvernements des pays concernés. L’action de la « communauté internationale » ne peut de son côté s’arrêter à la seule aide ponctuelle pour combattre la famine. Des problèmes restent entiers qui exigent sa participation

- ceux qui touchent aux conséquences de la famine sur la santé de personnes durablement handicapées et qui demandent un suivi médical et social auquel ces pays pauvres ne peuvent répondre,

  • ceux liés à la malnutrition qui, une fois l’état de famine dépassé restent un problème insurmontable sans une poursuite de l’aide internationale. Dans certaines régions, le taux de malnutrition a augmenté de 50% au cours de l’année qui vient de s’écouler.

  • ceux liés, après les déplacements massifs, à la réinstallation des populations ayant fui la famine

Le passage de l’urgence à une situation « stabilisée » montre toute la complexité du problème. Cela appelle à une mobilisation durable dans le temps qui cependant ne rend caduques ni les questions que pose ce genre d’intervention humanitaire que certains voudraient voir transformées en ingérence humanitaire ni les interrogations sur le maintien ou l’instrumentalisation d’une aide qui maintiendrait les peuples sous dépendance.

Contre la spéculation une revendication première

Depuis le début de la famine, d’après les spécialistes, le prix du sorgho a été multiplié par deux, la ville de Baidoa en Somalie a vu les prix des céréales augmenter de 240% par rapport à l’an dernier, en Ethiopie, le prix du maïs a augmenté de 117% dans certaines régions.. Le mécanisme de l’offre et de la demande, suivant une analyse économique orthodoxe, ne peut à lui seul expliquer pareille hausse. La spéculation, qui joue sur une pénurie parfois plus virtuelle que réelle, est un phénomène important. Ce mécanisme, dernièrement à l’œuvre au moment de la crise sur les céréales, n’est pas nouveau d’où cette revendication simple et immédiatement compréhensible par tous d’une mise hors la loi des mécanismes spéculatifs et dans le cas présent de ceux qui touchent les produits alimentaires. Ce serait un pas important qui, dépassant les réactions d’indignation et/ou de solidarité charitable, représenterait un premier acquis dans un long processus de réformes devant aboutir à une véritable remise en cause d’un système, que l’aggravation de la crise et la perpétuation de pratiques économiques qui ont pourtant montré toute leur nocivité ne fait que rendre toujours plus inacceptable.

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