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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Dossier Algérie : Ces Français solidaires contre la guerre d’Algérie et pour son droit à l’indépendance (Nils Andersson)

20 Mars 2012 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Colonisation, #Algérie (1830-1962)

Dossier : Cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie

 

Ces Français solidaires contre la guerre d’Algérie et pour son droit à l’indépendance

Par Nils Andersson (Il fonda en 1958 à Lausanne La Cité-Éditeur qui publia de nombreux livres dénonçant la guerre d’Algérie)


 

« Le 1ernovembre 1954, il y a moins de dix ans que le nazisme a été vaincu, l’occupation et la résistance appartiennent à la mémoire récente. La guerre d’Algérie va profondément marquer la société française en raison de la proximité du conflit, de l’horreur accumulée et de sa durée ; elle la marquera profondément en envoyant une génération de jeunes Français faire une sale guerrecoloniale, elle la marquera profondément du fait de la présence en France de plus de 200 000 travailleurs algériens, présence physique, présence militante, que l’on pouvait refuser de reconnaître, mais qu’il était impossible de ne pas voir, elle la marquera profondément parce que la République a vacillé sous la menace des factieux. »1

 

Le discours colonialiste déversé et martelé par le pouvoir, une presse quasi unanime, une radio muselée et le puissant lobby colonial ; l’Algérie c’est la France enseignée à l’école, l’imprégnation dans la société d’un racisme ordinaire, tout concourt au maintien de la colonisation et à nier les droits du peuple algérien. Et pourtant, des Français ont refusé cette guerre coloniale, ils l’ont refusée jusqu’à subir des années de prison, jusqu’au risque d’une vie d’exil. Leur résistance est une belle page inscrite au « devoir de mémoire » qui, au détour d’évènements, émerge dans le débat pour aussitôt être enfouie, elle est un élément constituant d’une pleine réconciliation entre Français et Algériens.

 

Qu'est-ce qui a amené ces femmes et ces hommes à faire ce choix que certains ont osé qualifier de trahison alors qu’en conscience ils sauvaient l’honneur de leur pays engagé dans une guerre coloniale ? Leurs paroles et leurs écrits en témoignent, ce sont leurs convictions chrétiennes pour les uns, communistes pour d’autres, leur refus d’une oppression colonialiste ou l’idée qu’on leur a enseignée de la France.

 

disparus.jpgQuelles furent les formes de leur engagement ? La première opposition fut celle des appelés et rappelés, manifestant dans toute la France avec le soutien de la population et des travailleurs, bloquant les trains pour retarder leur embarquement vers la guerre, occupant des casernes. Un refus auquel le gouvernement répond par : l’Algérie c’est la France, la seule négociation c’est la guerre. Arrivés en Algérie, malgré le mitard, malgré les bataillons disciplinaires, certains refusent d’être des occupants. Aucune pression ne les fait céder, ainsi Alban Liechti qui par deux fois fut jugé pour refus de porter les armes et a effectué quatre ans de prison.

 

Les jeunes appelés apprennent la réalité par les témoignages de rappelés, celui de Jean Muller par exemple, leur frère d’âge qui, avant d’être tué lors d’un affrontement, a dénoncé les abominations de cette sale guerre et l’irrésistible engrenage d’une répression jusqu’à en faire des tortionnaires. C’est dans la solitude que les appelés sont confrontés à devoir choisir entre les valeurs politiques, morales, humaines en lesquelles ils croient ou être des occupants. Refuser signifie devenir insoumis ou déserteur, un acte grave, un déchirement pouvant aller jusqu’à une vie d’exil. La décision prise, il faut donner sens à son acte qui d’individuel doit devenir collectif ; c’est la naissance du mouvement Jeune Résistance pour s’opposer à une guerre injuste mais aussi à la menace fasciste. Des membres de Jeune Résistance, assumant leur refus de tirer « sur leurs frères musulmans », sont arrêtés et emprisonnés.

 

En France, 200 000 Algériens sont en situation de grande précarité économique et subissent des traitements discriminatoires, de plus, leur engagement dans la lutte de libération nationale avec le FLN les expose à une dure répression, l’arrestation, de lourdes condamnations, mais aussi, comme en Algérie, la torture ainsi que cela est révélé dans La Gangrène.2

 

jeanson.jpegIl est difficile aux militants algériens de se déplacer sans être repérés au faciès. Ils ont des besoins d’hébergement, de lieux de réunions, de passer la frontière, d’acheminer l’argent des cotisations militantes et de nombre d’autres aides quotidiennes. Ils s’adressent pour cela à des Français, militants, syndicalistes, intellectuels avec lesquels ils ont des relations de confiance. Des réseaux de soutien se constituent, notamment celui de Francis Jeanson. Il ne s’agit pas d’un engagement anodin, accueillir ou voiturer une fois un Algérien, c’est le risque de mois de prison. Plusieurs membres des réseaux, recherchés, poursuivent leur solidarité en devenant clandestins, d’autres sont arrêtés et seront condamnés, jusqu’à 10 ans de prison. Ils sont des frères des frères.

 

La publication du Manifeste des 121, n’appelle pas à l’insoumission ou à la désertion mais au droit à l’insoumission et à la désertion et affirme que le refus de cette guerre qui déchire deux peuples, signifie le respect courageux du vrai et non la « trahison ». Ses signataires sont poursuivis, inculpés, mis à pied, au motif que leur intervention tend « à la désagrégation morale et sociale de la nation. » Exemple de la violence et de la bassesse avec lesquelles ils sont fustigés, citons Charles Richet, membre de l’Académie de médecine : « Oui chaque époque à ses excréments » ou le général Boyer de la Tour : « Ce ne sont que des intellectuels dévoyés et asexués. »3

 

Deux autres fronts de résistances à la guerre d’Algérie furent les fronts éditorial et judiciaire. Le front éditorial a été celui des journaux censurés, France Observateur, L’Express, Le Monde, Témoignage Chrétien, evian1962.jpgL’Humanité, Libération,4des revues saisies, Esprit, Les Temps modernes, des publications semi-clandestines, Témoignages et Documents, Vérité-Libertéou clandestines, Vérité pour, Vérités anticolonialistes, Jeune Résistance. Ce fut aussi celui des éditeurs, avec les Éditions de Minuit et les Éditions François Maspero. Éditeurs et journalistes furent inculpés, arrêtés, jugés, condamnés et même visés par des attentats, mais par eux furent révélés la torture, les « corvées de bois », les lieux où ses actes furent commis, les camps de regroupement, les zones interdites. Dans ces documents et témoignages sont donnés les noms des suppliciés, ceux de tortionnaires et de leurs responsables hiérarchiques, mais aussi les noms de ceux qui leur ont porté secours. Sans le rôle joué par l’édition, il eût été très difficile aux Algériens de faire entendre leurs cris, les raisons de leur soulèvement et la voix des Français solidaires eût été encore plus étouffée. Ces centaines de « J’accuse », véritables « archives citoyennes », constituent un dossier irrécusable à l'encontre de toute tentative ou volonté de déni.

 

Les collectifs d’avocats furent un maillon essentiel de dénonciation de cette guerre en défendant des militants algériens et des Français solidaires de leur lutte, en transformant les prétoires en lieu d’accusation de l’ordre colonial, mais aussi en étant le lien (le seul) avec l’extérieur pour les militants emprisonnés. Ils remplirent ce rôle malgré les menaces et les risques physiques encourus, ils plaidèrent parfois devant des salles demandant des têtes, il leur fallut même accompagner des militants à la guillotine. Ils ont été les témoins et le révélateur du comportement de l’État dans sa logique répressive.

 

Réfractaires, insoumis, déserteurs, membres des réseaux soutien, éditeurs, avocats, leur choix individuel se constitua en une force collective de refus ; en choisissant l’insoumission, ils firent, au sens fondamental du terme, de la politique.


1 Ils étaient chrétiens, bolchéviks, tiersmondistes, dreyfusards, « Résister à la guerre d’Algérie par le textes », Éditions Les Petits Matins, 2012.

2 Les Éditions de Minuit, 1958, réédition 2012.

3 Carrefour, 12.10.1960.

4 Dirigé par Emmanuel D’Astier de la Vigerie.

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