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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Paroles de Palestine 1999 : La question de l'eau

16 Janvier 2011 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Palestine

Paroles de Palestine 1999 : Dossier complet

La question de l'eau

eau_palestine_28022012.jpgAbdel Rahman Tamimi

Directeur du Centre palestinien d'hydrologie

 

Pour les Israéliens, l'eau fait partie de la sécurité. Dès le lendemain de l'occupation de 67, Israël a décrété par ordre militaire que toutes les ressources en eau de Cisjordanie et de Gaza passaient sous son contrôle. Les licences et permis accordés jusqu'alors par le gouvernement jordanien étaient annulés. D'autre part, les données sur les ressources en eau ont été considérées informations militaires et classées « top secret ». Ainsi la direction des services responsables de la gestion de l'eau en Cisjordanie et à Gaza n'était pas assumée par des ingénieurs, mais par des officiers, système qui reste en vigueur dans les territoires encore occupés. Si, en Israël l'eau dépend du ministère de l'Agriculture, en Palestine, elle dépend du ministère israélien de la Défense.

Inégalités et discriminations.

Aujourd'hui, la consommation moyenne des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza représente environ 150 m3 par personne et par an, tous usages confondus (agriculture, usage domestique ...), alors que les colons israéliens de Cisjordanie consomment environ 700 à 800 m3, plus que les Israéliens d'Israël qui, eux, en consomment environ 500m3.

A cela diverses raisons :

– la consommation d'eau des colons est subventionnée,

– la plupart des colonies de la vallée du Jourdain sont agricoles donc grosses consommatrices d'eau,

– la plupart des colons viennent de pays riches en eau (Europe, Amérique...) et ont donc l'habitude de consommer davantage d'eau,

– l'habitat dans les colonies est une organisation en villas avec jardin.

Les Israéliens paient le m3 d'eau en moyenne 0,4 dollar alors que les Palestiniens le paient 2 dollars. Consommer 5 fois moins et payer 5 fois plus, c'est une terrible discrimination. D'autant que l'eau ne vient pas d'Israël, c'est notre eau qu'ils nous vendent !

Sous l'administration jordanienne, 27 % de nos terres agricoles étaient irriguées contre seulement 3 % aujourd'hui.. Comment dans ce cas parvenir à l'autosuffisance et à la satisfaction des besoins alimentaires ? Nous utilisons 75 % de notre eau dans l'agriculture et l'agriculture contribue pour 30 % à notre PNB. L'agriculture des colonies est grosse consommatrice d'eau. Elle utilise 75 % de l'eau disponible alors qu'elle ne contribue que de façon annexe aux revenus de l'économie israélienne. Les principaux experts israéliens eux-mêmes reconnaissent que cette énorme consommation est le résultat d'une mauvaise gestion : l'eau est soumise à l'influence puissante des lobbies d'une agriculture contrôlée par les kibboutzim D'ailleurs depuis 1948, le ministre de l'agriculture et le responsable de l'eau israéliens sont issus des kibboutz. Et alors même que dans toute la région les réserves en eau sont limitées, les colons n'entendent pas réduire leur consommation.

En Cisjordanie, les ressources annuelles, lorsqu'il pleut, sont de 650 millions de m3, les Israéliens en utilisent 80 % et nous 20 %. Cette année, avec la sécheresse, ils en utilisent 90 % et nous 10 %. En d'autres termes, 150 000 colons israéliens utilisent en gros la même quantité d'eau que 1,2 million de Palestiniens.

Les négociations et l'eau.

Les accords d'Oslo (Oslo A) ne mentionnent pas du tout la question de l'eau. Il est prévu d'en discuter dans les étapes finales. Dans Oslo B, seul l'article 40 y fait référence. De toute façon, les Israéliens veulent garder le contrôle des ressources. Rien n'est dit sur ce qui va se passer dans les colonies, rien sur la réduction ou l'augmentation de leur consommation, rien non plus concernant l'eau pour l'agriculture. Mais alors que les besoins des Palestiniens étaient estimés entre 70 et 80 millions de m3 pour l'eau potable, c'est seulement 10 % de ce volume qui a été obtenu durant la période intermédiaire.

Un droit de l'homme. Avoir le droit à l'eau potable, ce n'est pas seulement un droit

politique, c'est fondamentalement un droit de l'homme. On ne va pas regarder si vous êtes chrétien, musulman, fondamentaliste ou que sais-je encore, qui que vous soyez, vous avez droit à boire de l'eau propre à la consommation.

L'eau au marché noir. Actuellement, certaines villes de Cisjordanie ne bénéficient de l'eau courante qu'une heure par jour ou un jour par semaine. En Cisjordanie, 37 % des Palestiniens ne disposent pas de l'eau courante et 200 villages palestiniens, soit la moitié, en sont privés. Ils s'approvisionnent à des sources ou achètent l'eau apportée par camions, et encore s'agit-il d'eau polluée, en quantité insuffisante, et chère. Cette année, l'eau était vendue au marché noir. Le mois prochain, nous allons devoir acheter 100 000 MI d'eau afin de la redistribuer dans les villages

De l'autre côté, les colonies israéliennes sans exception bénéficient de l'eau 24 h sur 24 et il n'y a pas une colonie sans eau, ni même sans piscine. Je ne dis pas qu'il ne faut pas donner de l'eau aux colons. Quoi que l'on pense d'eux, quand on considère le problème sous un angle humain nous avons à leur donner de l'eau potable mais en même quantité et de même qualité pour tout le monde.... Pour ce qui est de l'eau pour l'agriculture, ce n'est plus seulement une question de droits de l'homme, c'est une question économique qui devra faire l'objet de négociations.

Oslo, quelle avancée ?

Au sujet de la vallée du Jourdain rien n'est mentionné dans l'accord, les Israéliens la considérant non comme une réserve d'eau mais comme une frontière. D'ailleurs même dans les futures négociations, il est à prévoir qu'ils refuseront d'en discuter avec nous sous prétexte que ce problème est à résoudre avec la Jordanie. Dans la zone militaire de 3 km de large qui longe le Jourdain, dite zone de sécurité, aucun Palestinien ne peut pénétrer, ni accéder à l'eau dont 70 % sont utilisés par les Israéliens, 15 % par les Jordaniens, le reste se jetant dans la mer Morte. Il a été décidé, avec Oslo, d'établir un comité commun sur l'eau, le président est israélien, les décisions se prennent par « consensus », si bien que chaque fois que les Palestiniens veulent avancer, ils s'exposent à un veto, les Israéliens leur opposant qu'il s'agit ici d'une zone de sécurité, là d'un parc naturel... Ainsi pendant la période de Nétanyahou, seuls ont été traités la prévention des risques et les cas d'urgence. Tout est entre les mains des Israéliens : la législation, la structure, les ressources. Concernant les problèmes de l'eau, il n'y a pas de zones A, B, C parce qu'il n'y a pas de transfert d'autorité concernant l'eau.. Quoi que vous fassiez, même chez vous (placer une conduite, un tuyau ...) vous avez à demander un permis. Ce qui se passe actuellement avec Oslo n'est pas un processus de paix : je suis convaincu que nous entrons dans un tunnel très sombre, en tout cas pour l'eau.

En attente du statut final.

Water--Resources.gifAvant les discussions sur le statut final, on peut déjà comprendre les intentions israéliennes en fonction de ce qui se passe sur le terrain :

– A partir d'Israël, sont mises en place cinq canalisations principales en direction des colonies, et les villages palestiniens près de la ligne verte y sont connectés : les infrastructures palestiniennes étant ainsi reliées à celles des colons, il sera alors impossible techniquement de remodeler les colonies ou de les supprimer

– Les autorités israéliennes se proposent de déplacer la ligne verte de 10 km à l'intérieur du territoire palestinien et d'annexer de ce fait une soixantaine de villages.

– Elle veulent nous fournir l'eau dont nous avons besoin, nous plaçant en position de contractants, sans possibilité de contrôle, ni sur le pompage, ni sur la distribution.

– Dans la vallée du Jourdain, ils nous laisseront peut-être la zone de Jéricho parce que là, il n'y a pas d'eau !

Pour l'agriculture, aucun changement n'est envisageable : j'ai des contacts quotidiens avec des experts israéliens et c'est ce qu'ils pensent également. L'actuel gouvernement est pire que le précédent sur la question de l'eau, mais, à mes yeux, le plus grand danger, c'est que l'on ne négocie pas réellement, on fait des affaires. Nos représentants agissent selon leurs désirs mais sur le terrain la réalité est différente. Et puis, on a affaire à un one man show, et ça, ça ne marche pas pour négocier. L'avenir de la Palestine ne devrait pas tenir dans les mains d'un seul homme mais dans les mains du peuple palestinien. Trop souvent, les ministères, les conseils législatifs, c'est du décorum, juste pour obtenir l'argent de l'extérieur et montrer qu'il y a une démocratie en Palestine. Enfin, lorsque l'on négocie avec les Israéliens, il faut se présenter comme une entité géographique et on ne doit pas traiter de façon séparée Gaza d'un côté, la Cisjordanie de l'autre. C'est une manière de négocier très risquée, surtout en matière d'eau. L'eau, elle, court en dessous, et ne distingue pas Jéricho de Gaza ! A mon avis, le droit fondamental des Palestiniens est le contrôle de la terre et l'eau appartient à la terre . Dans ce cas, je ne vois aucun inconvénient à faire des projets communs avec les Israéliens, des canalisations communes, mais en tant que partenaires égaux, qui décident ensemble de la meilleure façon de gérer techniquement l'eau qu'ils auront mise en commun.

Un avenir incertain.

En Cisjordanie, nous consommons 100 millions de m3 d'eau, tous usages confondus. Si le taux de croissance de notre population reste stable, et ce en dehors du retour des réfugiés, nous connaîtrons une grave pénurie et notre agriculture subira une baisse de 5 %, ce chiffre doublera chaque année. Avec Gaza, à mon sens, les Israéliens nous ont fait cadeau d'un bébé mort-né , Gaza est écologiquement morte. Dans le sud de la bande, les gens boivent déjà une eau croupie, impropre même à l'agriculture, à cause d'une quantité élevée de nitrate. Il n'y a pas de solution, sauf à acheminer l'eau de l'extérieur. Beaucoup d'entreprises privées, la Banque mondiale, essaient de convaincre les Palestiniens d'installer une usine de désalinisation. C'est impossible : le coût de l'eau serait trop élevé , en outre, cela demanderait une énorme quantité d'énergie pour la fourniture de laquelle nous resterions tributaires d' Israël.

A tout cela s'ajoute un risque majeur pour l'environnement : lorsque vous pompez 100m3 d'eau, vous rejetez à la mer 30 tonnes de sel. Or, la principale source de revenus à Gaza, c'est la pêche et avec des rejets aussi massifs de sel, on ne peut prévoir les changements écologiques. Ce qui m'est incompréhensible, c'est que les Israéliens ont l'expérience, l'argent, la technologie mais ils n'ont pas d'usine de désalinisation. Et ils nous conseillent d'en construire une !

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